Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
23 mars 2022 3 23 /03 /mars /2022 18:01

Elle est la « magie » du théâtre ou du cinéma. La Katharsis désigne, en grec, l’action de « nettoyer, purifier, purger ». Appliquée aux arts, Aristote y voit le but de la tragédie, dans le chapitre 6 de la Poétique : « en représentant la pitié et la frayeur, elle réalise une épuration de ce genre d’émotions ». A partir des nombreuses discussions et controverses qui s’en suivies, on peut désormais expliciter les étapes du processus de purge :

1/ La représentation des émotions du personnage

La pitié, selon Aristote, s’adresse à l’homme qui n’a pas mérité son malheur, la frayeur au malheur d’un semblable. Dans la catharsis, réside un lien à l’autre, un altruisme, une empathie. C’est le socle du mécanisme, même si ce n’est pas l’unique pièce. Nous sommes concernés par le destin d’Œdipe sans avoir couché avec notre mère. Notons au passage qu’au sens plus moderne, la catharsis se réfère à un panel d’émotions plus large que la pitié ou la crainte : peine, colère, mélancolie, etc..

"Réparer les vivants", de Katell Quillévéré, 2016

2/ Le lien avec les émotions du spectateur par l’identification

L’empathie pour le personnage est si prégnante qu’elle aboutit à l’identification : si cela est arrivé à mon semblable, cela peut m’arriver. L’autre ne nous ressemble pas forcément, mais nous nous identifions à ses affects, comme l’exprime Stephen King dans son manuel Écriture, en donnant l’exemple d’Annie Wilkes, tortionnaire dépressive qui enferme un accidenté de la route chez elle dans le roman Misery : « Si je parviens, de façon fugace, à vous faire voir le monde par les yeux d’Annie Wilkes, autrement dit à vous faire comprendre sa folie, il se peut alors que vous sympathisiez avec elle ou même que vous vous identifiiez à elle ».

Par l’identification, le spectateur relie ses propres émotions à celles du personnage. Or ces ressentis peuvent être dans la vie quotidienne, non exprimés ou refoulés, pour diverses raisons. Dans la réalité, nous sommes sujets à ce flot déstructuré, imprévisible, et insensé de nos émotions. Nous ressentons les déplaisirs sous une forme de douleur immatérielle et insaisissable, et de surcroit souvent en solitaire. Leur représentation théâtrale est une manière de les sortir de notre tête, mais de manière artistique. Leur représentation les rend visibles et matérielles. Leur esthétisme les rend acceptables. Nos émotions sont alors pleinement ressenties lors de leur représentation sur scène, habillées d’un sens et d’une esthétique. « Pour moi le cinéma, c’est une manière de se sentir vivant sans se mettre en danger. Il doit fonctionner comme une catharsis ; lâcher ses émotions pour mieux les mettre à distance », témoignait Katell Quillévéré, réalisateur de « Réparer les vivants », au magazine Première, le 20 février 2021. Un auteur nous confronte à nos démons en nous tenant la main et en allumant une petite lanterne rassurante à notre chevet.

Cinéma en plein air, à la Roche-sur-Yon, 2019

3/ Le déplaisir converti en plaisir

Par-delà le simple registre acceptable, la représentation artistique rend plaisante la peur ou la peine. La catharsis est une sublimation : la conversion d’instincts peu agréables ou peu valorisés en quelque chose de plus noble, de plus beau, qui nous rend plus digne et nous élève. Le déplaisir est transformé en plaisir par l’esthétisme du spectacle et le sens du récit : « Le spectateur serait horrifié en voyant une mère massacrer ses enfants, mais il peut assister, sans bouger de son siège au récit de ce meurtre dans une tragédie comme Médée. Ce qui intéresse ici Aristote est la mystérieuse transformation des affects négatifs, par l’art mimétique, en plaisir. Car, pour Aristote, la catharsis substitue du plaisir à de la peine (…) : le poète doit procurer un plaisir qui provient de la pitié et de la frayeur et cela en les passant au tamis de la représentation. Pour Aristote, donc, la catharsis est avant tout un concept esthétique » (Vivès, 2010).

Le philosophe observe que l’imagination possède le pouvoir d’inverser les affects et de soulager l’âme. L’art est un miroir à émotions. De surcroit, d’autres spectateurs sont confrontés au même drame, d’autres spectateurs avec qui je peux partager cette expérience émotionnelle. La culture n’est pas qu’un élément introspectif, elle alimente les discussions, et est un facteur de socialisation. La catharsis peut être collective. Pour les Japonais, le premier Godzilla (1954), énorme bête qui détruit tout sur son passage, est une catharsis des bombardements nucléaires subis pendant la Seconde guerre mondiale.

Godzilla, 1954

4/ La « purification » ou « purge »

Si la catharsis a fonctionné, nous nous sommes confrontés à nos peurs et le mal refoulé qui nous rongeait silencieusement a été exprimé, délesté, transformé en plaisir voire en lien social. La lumière de l’écran a agi comme une photosynthèse. Nous ne sommes plus tout à fait le même avant d’avoir vu l’œuvre et après. Nous laissons une petite partie de nous-même derrière nous.  Nous n’éprouverons plus tout à fait de la même manière la pitié et la crainte. Nous les éprouverons sous d’autres formes, sous d’autres douleurs, et nous aurons à nouveau besoin de la catharsis.

 

Sources :

 

Forestier G. (2008) Catharsis : de la tragédie grecque au cinéma d’horreur

https://eduscol.education.fr/odysseum/catharsis-de-la-tragedie-grecque-au-cinema-dhorreur

Bessière V. (2020), Quand l’histoire se répète

https://www.unilim.fr/espaces-linguistiques/256

Vives, J. M. (2010). La catharsis, d'Aristote à Lacan en passant par Freud. Recherches en psychanalyse, (1), 22-35.

Naugrette, C. (2008). De la catharsis au cathartique: le devenir d’une notion esthétique. Tangence, (88), 77-89.

https://www.erudit.org/en/journals/tce/1900-v1-n1-tce2878/029754ar.pdf

Godzilla, le roi lézard super star

https://www.telerama.fr/debats-reportages/godzilla-le-roi-lezard-super-star-6946215.php

Partager cet article
Repost0

commentaires