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31 janvier 2022 1 31 /01 /janvier /2022 17:18

Une autre manière de poser la question est : pourquoi les réalisateurs recourent à des sex-symbols, et pourquoi nous, spectateurs, voulons-nous les voir à l’écran ? On s’en tient à quatre pistes, de la plus évidente à la moins évidente.

Virginie Efira

1/ La fascination de la beauté dans les arts visuels

Le spectateur recherche l’expérience visuelle de la beauté, quelle qu’elle soit. Elle rend sa vie plus « animée », plus digne « d'être vécue » (Elaine Scarry, 1999 ; Spyke, 2006). La beauté nous inspire et nous oblige à créer et imiter les belles choses. Devant l’écran, nous sommes fascinés par ces humains hors du commun, sublimés par le maquillage, le coaching sportif, les effets de lumière. Subjugués par cette addition de talent du travail d’acteur avec un talent naturel qui est d’être attirant. Entre personnage fictif et acteur réel, le sex-symbol (un idéal de beauté) peut constituer à la fois une source de plaisir et un modèle duquel s’inspirer ou auquel se conformer. Pas seulement du strict point de vue des lignes du corps et du visage, mais aussi des comportements, des mouvements gracieux, des manières de séduire. Et pas seulement dans le seul cadre des films et séries, car sa figure est également construite dans d’autres médias de masse que sont la presse ou la publicité. Ses photos esthétiques, prises elles-aussi par des photographes professionnels, viennent illustrer ses choix de carrière, ses goûts cinématographiques, et sa vie privée. Le ton employé par l’interviewé peut être humble, ou recourir à l’autodérision voir à l’auto-dépréciation (Kanai 2015). Face au starsystem, le spectateur lui, peut être tiraillé par des sentiments contradictoires : fascination pour la beauté (le beau pour le beau), et répulsion pour cet attrait irrationnel qui passe par ses sens primaires (garder son libre arbitre face à la beauté), ou qui est source de complexes.

James Dean

2/ La sollicitation de la pulsion sexuelle

Comme en publicité, le créateur de fictions cherche à capter et maintenir l’attention du spectateur sur son sujet, par le stimuli biologique sexuel. Ce levier peut passer par l'embauche d'acteurs attirants, la mise en valeur de leur corps, voire des scènes de nu ou un contenu érotique. Mais à mesure que les niveaux de nudité ou d'érotisme augmentent, les effets d’attention peuvent devenir négatifs, susciter le rejet, et donner une mauvaise image (LaTour, Pitts, & Snook-Luther, 1991). Le réalisateur doit donc gérer le bon dosage de la sensualité. Pour preuve, les films pornographiques sont les plus extrêmes en la matière, et ne jouissent pas d’une bonne réputation. A l’opposé, des films toute en évocation érotique et en subtilités amoureuses, ont acquis leurs lettres de noblesse. Par exemple, la métaphore de la cigarette entre Greta Garbo et John Gilbert dans Flesh and the Devil (1926) ou celle entre de Scarlett Johanson et Bill Muray dans Lost in translation de Sofia Coppola. Une même cigarette qui passe sous les lèvres des deux protagonistes dans un moment de séduction.

Lost in translation

3/ Sublimer d’autres émotions et d’autres sens

L'une des principales incitations à regarder des longs métrages, et des séries, est la palette émotionnelle et sensorielle qu'ils suscitent. L’émoi sensuel ou sexuel n’est pas indissociable de fortes émotions de plaisir et d'amour (Plutchik, Kellerman, 1980). En plus de ces émotions, la beauté physique peut embellir d’autres sens, comme l’ouïe. Une étude (Wapnick, 1997) a montré que les chanteurs masculins les plus attrayants n'étaient pas mieux notés que les hommes les moins attrayants dans la condition audio. En revanche, ils étaient mieux notés que les moins attrayants dans la condition audiovisuelle. Les émotions et les sens interagissent les uns avec les autres. Mais cette meilleure notation peut aussi s’expliquer par le concept de « beauty privilege ».

Angelina Jolie

4/ Le « beauty privilege »

Le concept de « beauty privilege » repose sur l’idée que les personnes attirantes sont généralement considérées comme plus intelligentes, plus crédibles, plus talentueuses, plus respectables, que leurs homologues moins attirants. Elles sont également perçues comme plus sensibles, subtiles, intéressantes, sociables, indépendantes, complexes, joyeuses, détendues. Ces phénomènes ont été démontrés par de multiples expériences scientifiques en psychologie et sciences sociales (Patzer, 2012 ; Adams, 1977 ; Berscheid & Walster, 1974 ; Debe vec, Madde n & Kernan, 1986 ; Kleck, Richardson & Ronald, 1974). Ces observations vont à l’encontre de l’adage selon lequel « on je ne juge pas un livre à sa couverture ».

Quand le film commence, et qu’un sex-symbol nous est présenté, nous lui associons d’emblée des qualités non-physiques, quand bien même nous ne connaissons pas grand-chose de lui. Miller a également montré que les personnes attirantes étaient davantage considérées comme « maitre de leur destin ». Ainsi dans les films dont le premier rôle est un héros ou même un super-héros, le réalisateur peut faire passer le message qu’il maitrise son destin en raison de son physique, ce qui permet d’économiser des explications verbales sur les capacités du personnage. Le fait que le héros réussissent ses actions est plus crédible s’il est beau. A l’inverse, les vilains qui échouent dans leurs entreprises seront souvent moins attirants. Car les recherches scientifiques montrent aussi que moins les personnes sont attirantes, moins elles sont appréciées, c'est même un fort vecteur de discriminations (Patzer, 2012). Elles se trouvent désavantagées pour être sélectionnées dans le travail, le rendez-vous amoureux, et le mariage.

Jennifer Lawrence et Bradley Cooper

Mais ne nous stressons pas trop non plus, notre beauté peut varier au fil des années, des saisons, de notre accoutrement, de notre santé, des pays dans lesquels on se trouve. Le cinéma a su jouer de ces contrastes, quand le crapaud ou la crapotte du début, se transforme en séducteur à la fin : La belle et la bête, Pretty Woman, Elle est top bien (She's All That), Ballroom dancing, Love Actually, etc.

Il existe aussi des limites au « beauty privilege » au cinéma. La beauté des acteurs masculins peut présenter un obstacle dans le lien entre le spectateur et le personnage : une espèce de « beauty handicap ».  Des études en neuropsychologie (Jankowiak-Siuda 2019 ; Bosco 2019) ont montré que les photographie d’acteurs masculins à beau visage suscitent moins d’empathie que les moins beaux. L'empathie, qui désigne la capacité de comprendre et de réagir aux états intérieurs des autres, est pourtant essentielle dans l’identification du spectateur au personnage. Bizarrement aussi, les beaux acteurs suscitent également moins d’empathie que les belles actrices. Les scientifiques n’ont pas trouvé d’explications.

Sources :

Elaine, S. (1999). On Beauty and Being Just

Joseph, W. B. (1982). The credibility of physically attractive communicators: A review. Journal of advertising, 11(3), 15-24.

http://www.psych.ualberta.ca/~msnyder/p486/read/files/J1982.pdf

Kanai, A. (2015). Jennifer Lawrence, remixed: approaching celebrity through DIY digital culture. Celebrity studies, 6(3), 322-340.

https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/19392397.2015.1062644

Jankowiak-Siuda, K., Duszyk, A., Dopierała, A., Bujwid, K., Rymarczyk, K., & Grabowska, A. (2019). Empathic responses for pain in facial muscles are modulated by actor’s attractiveness and gender, and perspective taken by observer. Frontiers in psychology, 10, 624.

https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2019.00624/full

Lin, C. A. (1998). Uses of sex appeals in prime-time television commercials. Sex Roles, 38(5), 461-475.

https://link.springer.com/content/pdf/10.1023/A:1018714006829.pdf

Miller, A. G., Ashton, W. A., McHoskey, J. W., & Gimbel, J. (1990). What price attractiveness? Stereotype and risk factors in suntanning behavior. Journal of Applied Social Psychology, 20(15), 1272-1300.

Patzer, G. L. (2012). The physical attractiveness phenomena. Springer Science & Business Media.

https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=BNJeBAAAQBAJ&oi=fnd&pg=PA1&dq=the+credibility+of+physical+attractiveness&ots=esH-Whgkd-&sig=e99xtcV84tSJudwIiZzsaBmVUXI#v=onepage&q=the%20credibility%20of%20physical%20attractiveness&f=false

Spyke, N. P. (2005). The Instrumental Value of Beauty in the Pursuit of Justice. USFL Rev., 40, 451.

https://heinonline.org/HOL/Page?handle=hein.journals/usflr40&div=18&g_sent=1&casa_token=xBAFJNPwcg0AAAAA:KwLB6gJoL9Vrn8M8bQompakQyJWj3FHQhHKJRc9XCZeph5Z2QC3Y0h0oVa1S88kYpSpPMr1N4NY&collection=journals

Wapnick, J., Darrow, A. A., Kovacs, J., & Dalrymple, L. (1997). Effects of physical attractiveness on evaluation of vocal performance. Journal of Research in Music Education, 45(3), 470-479

https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.2307/3345540?casa_token=ts0lW6Iu9-AAAAAA:kNFh3NX-UXC4Fnl7-C4TubfUgr-16RG_-Qo55XrCvNRughsSA83kXNccA-3chLto-rsOhUUjx9dheQ

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